ESCALE SUR L'ILE DES AMOURS
Une ile au large de la Nouvelle-Ecosse. Une "ile de sable" enfantée par le courant du Labrador et le Gulf Stream. Incertaine et changeante. Presque un désert en plein océan. Sur cette dune blonde léchée par l'Atlantique galopent des chevaux sauvages. Chaque année, les phoques gris s'y rassemblent par milliers. Pour célébrer, le temps d'une brève escale, la vie et leurs amours, leur amour de la vie.
Des souffles au large: baleines !. . . Un cétacé s'approche. Treize ou quatorze mètres, la tète en pantoufle. Il arque son corps effilé comme une torpille, avec un aileron dorsal en faux. Il sonde, puis revient lancer dans l'atmosphère son panache irréel. C'est un rorqual boréal. Le plus rapide des géants aquatiques: il pousse des pointes à soixante-dix kilomètres à l'heure. Le brouillard enveloppe l'ile cent cinquante jours par an. En 1958, l'ile, qui fait partie du Canada Français, fut baptisée "bourbon". Des colons y débarquèrent pour exploiter les peaux et l'huile de phoques, en échange de provisions qu'un bateau leur livrait une fois par an. Trois rotations furent assurées, la quatrième eut douze mois de retard. On ne récupéra que onze rescapés vétus de peaux de bètes.
Sur l'ile, vautrés sur la plage, la tète longue, le pelage gris-jaune, le corps en barrique, ce sont les phoques gris. Ils y viennent en migration, débarquent d'une vague plus grosse que les autres, comme si la mer les crachait. Ils chenillent sur la plage, ils ne sentent pas le froid, nous sommes en hiver, au mois de janvier. Vers 1960, il y avait peu de phoque gris sur l'ile de sable, les biologistes comptaient environ 150 naissances par an. Trente ans plus tard, en 1990, plus de 10.000. En 1992, 13.000 naissances. La croissance annuelle de la population est de 12% à 13%, chaque hiver 40.000 individus convergent vers l'ile. La moitié des effectifs canadiens de l'espèce. Le chiffre ne cesse d'augmenter, c'est un bonheur que d'avoir sur cette ile, le plus grand congrés mondial de ces pinnipèdes.
Comment les phoques gris savent-ils qu'il existe une ile de sable ? En plein Atlantique ? Ils y débarquent au coeur de l'hiver, par petits groupes. A terre, les femelles mettent bas le jeune qu'elles ont conçu au mème endroit un an plus tot. |
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C'est aussi un problème. . . .A terme, les phoques risquent de devenir trop nombreux. Déjà, les pécheurs professionnels poussent des hauts cris, les accusant de dévorer " leurs " poissons. Bien entendu, c'est le syndrome du bouc émissaire. Les vrais responsables de la raréfaction des morues et des colins sont les humains. Mais qui fera entrer cette idée dans les tètes ? D'autant que les phoques sont réellement les vecteurs de maladies parasitaires qui atteignent certains poissons, et inquiètent les services sanitaires.
A l'appel d'un signal invisible , à l'est de l'ile, les amphibies sont costauds et définitivement comiques. Les adultes, surtout les màles, sont affublés d'un museau proéminent, cyranesque, disons " pifomorphe ", qui leur vaut leur autre nom de " phoques-tètes de cheval" et permet de les distinguer de leurs cousins phoques des ports. Des mères et des bébés se sont réfugiés dans les dunes pour fuir la violence des bourrasques. Les nouveau-nés sont attendrissants, d'un jaune ocre qui les confond avec le sable. Sur un petit promontoire, des milliers de pinnipèdes se disputent un abri précaire au pied d'une dune que l'océan a décidé de manger.
Jaunie et durcie par le gel, les phoques gris, mettent bas leurs jeunes qui tètent pendant seize à vingt jours un lait ultra-riche en calories. |
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Plusieurs femelles arrivent sur le rivage, leur premier devoir consiste à mettre au monde le petit qu'elles ont conçu ici mème, l'année dernière. Un femelle gein, le ventre arqué, et qui pousse . . . Une masse luisante, bleu-noir, parait au bas de son abdomen, dans un ruissellement d'eaux rougies. Un bref coup de reins, et le foetus glisse sur le sable, avant de pousser un cri rauque. Le cordon ombilical se rompt à l'instant de l'expulsion. La mère se retourne, flaire le nouveau-né, lui "parle". L'odeur et la voix sont essentielles: elles imprègnent les deux ètres. La femelle n'allaitera que son bébé.
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L'existence du jeune phoque (à gauche) est incertaine, comme l'avenir mème de l'ile de sable. En dépit de l'onctuosité et de l'abondance du lait maternel, aucun nouveau-né n'est assuré de survivre. Les biologistes font de la peinture sur fourrure pour la bonne cause: connaitre et protéger l'espèce. > |
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Les màles sont puissants: deux mètres, deux cents kilos. Les femelles plus fines, donnent le jour à des nouveau-nés de 75 centimètres et d'une quinzaine de kilos. La durée de la lactation est de seize à vingt jours. Le bébé se goinfre, il avale l'équivalent de 22.000 calories quotidiennes, dix fois plus qu'un humain. Il prend trois livres par vingt-quatre heures ! Au sevrage il pèse un demi-quintal et semble une barrique. A l'inverse, la mère perd six à huit kilos par jour; au total, le tiers de son poids. Elle sécrète un lait extrémement riche en graisses et en protéines, mais pauvre en sucres. Lorsqu'il est sevré, le jeune commence par se nourrir d'oursins, de crustacés et de petits poissons, avant de passer aux grands poissons.