LES ANCETRES DES CETACES

Les chercheurs pensent que baleines et dauphins évoluèrent à partir des créatures de l'ordre des Condylarthres, vivant sur les terres émergées il y a plus de 58 millions d'années, pendant le Paléocène. A première vue, il serait sans doute difficile de le ranger dans la mème famille que les mammifères marins que nous connaissons aujourd'hui. Certains Condylarthes de la famille des Mésonychidés occupèrent la niche écologique laissée vacante par les ichtyosaures, dinosaures carnivores aquatiques qui avaient disparu quelque 15 millions d'années plus tot, à la fin du crétacé. Ces mammifères terrestres donnèrent naissance aux baleines préhistoriques, les Archéocètes, ainsi qu'aux Artidactyles, nos modernes ongulés, vers la fin du Paléocène.

A Sharktooth Hill ( "colline de la dent de requin" ), les paléontologues ont exhumé les restes de cet ancien dauphin. Notez le long rostre encore attaché au cràne.

Les Mésonychidés, ancètres des ongulés modernes et des baleines, vivaient sur les rivages de l'ancienne mer de Thétys où ils se nourrissaient de coquillages. Leurs membres raccourcirent et ils perdirent leur toison qui les freinaient dans l'eau. Pour se déplacer efficacement, leur queue devint de plus en plus musculeuse et plate, ce qui leur fournissait un puissant moyen de propulsion dans leur nouvel environnement liquide.

Il y a plus de 60 millions d'années, les continents et les océans étaient fort différents de ce que nous connaissons aujourd'hui et la mer occupait la majeure partie de la surface de la planète. Les rivages de la mer de thétys, recouvrant à peu prés l'emplacement de l'actuel golfe Persique et de la Méditerranée, étaient le domaine des Mésonychidés terrestres. Durant les 20 millions d'années qui suivirent, les continents s'éloignèrent les uns des autres et les proto-cétacés évoluèrent pour s'adapter aux nouvelles conditions géographiques. Les membres postérieurs des Archéocètes étaient plus courts que chez les Mésonychidés et leurs corps légèrement plus longs, ce qui en fit des nageurs trés efficaces. Pour se protéger de l'eau, leurs narines progressèrent vers le haut du cràne qui lui-mème devint plus étroit. Deux familles d'Archéocètes, les Protocéidés et les Basilosauridés, étaient plus proches de leurs prédécesseurs terrestres que de nos baleines actuelles mais leur adaptation à la vie marine en fait un lien incontournable entre les dauphins modernes et les mammifères primitifs.

Les Archéocètes sont divisés en plusieurs familles :

Notre connaissance de leur évolution s'est rapidement développée durant le siècle écoulé. Des restes de Basilosaurus furent découverts en 1832. Le corps pataud de cette créature, rapidement cataloguée comme un Archéocète typique, la rapprochait plutot des murènes. Habitant les zones marécageuses et peu profondes, elle se tapissait dans la végétation pour happer les proies qui nageaient à sa portée. Le découvreur de ce fossile pensa qu'il s'agissait d'un reptile et pour cette raison baptisa les restes, qui mesuraient tout de mème 15 mètres de long, du nom de Basilosaurus ou lézard royal. Bien que le Basilosaurus nous apprenne beaucoup sur l'environnement d'alors il n'est pas un authentique Archéocète.

Le Zygohriza, de la sous-famille des Durodontinés, ressemble beaucoup plus à notre baleine moderne que les autres Archéocètes. Corps massif, tète et rostre courts, nageoires puissantes et orientales pour se hisser sur le rivage, le Zygohriza est incontestablement pleinement adapté à la vie marine. Comme chez la baleine moderne, son évent était situé à mi-rostre.

Le Zygohriza est l'un des meilleurs exemples de cétacé fossile présentant de nombreux points comuns avec nos dauphins actuels. Cette reconstitution est basée sur un squelette étudié par Remington Kelloy, en 1936.

Vers la modernité .

A la charnière de l'Eocène et de l'oligocène, la terre changea de nouveau d'aspect. L'antarctique se sépara de l'Amérique du Sud, modifiant les courants circumpolaires. L'océan se refroidit et les Archéocètes, incapables de s'adapter à ce changement, disparurent rapidement. Pendant tout l'oligocène, des Odontocètes primitifs occupèrent les niches écologiques désertées par les Archéocètes. Parmi eux, les membres des Agorophiidés et des Squalodontinés, deux familles étroitement liées à nos dauphins et baleines modernes, aujourd'hui éteintes. Les Agorophiidés avaient de redoutables dents coniques et un bec de longueur moyenne, et leur cràne ramassé ressemblait fort à celui de nos baleines.

Les squalodons, eux, mesuraient environ 3 mètres de long. Leur cràne était presque complétement ramassé sur lui mème et leurs fosses nasales étaient situées en haut du cràne et tournées vers l'arrière pour les protéger des vagues.

Mésonychidé (pré-cétacé)

Remingtonocetus Harudiensis (archéocète primitif)

Basilosaurus (Archéocète tardif)

Agorophius Pygmaeus (Odontocète primitif)

On peut suivre l'évolution morphologique des dauphins à travers le tassement progressif du cràne et des os du nez.

  • bleu = narines (évent)

  • orange = os du nez.

  • jaune = mandibules.

Squalodon (Odontocète évolué)

Lipotes Vexillifer (dauphin moderne)

Les pattes postérieures du squalodon et sa structure pelvienne étaient réduites et leur cou était trés court bien que mobile. Les chercheurs pensent qu'ils avaient un aileron dorsal et un corps effilé pour nager avec aisance. Les squalodons avaient un ancètre commun avec les Kentriodontidés qui vivait au début de l'Oligocène. Ces mammifères préhistoriques ressemblaient beaucoup aux dauphins actuels et présentaient les premières adaptations annonçant l'écholocation. La forme de leur cràne suggère mème qu'ils en avaient développé l'usage, ne serait-ce que sommairement. Alors que les ancètres des dauphins passaient insensiblement de la vie terrestre à la vie marine, il y a environ 55 millions d'années, durant le Paléocène, ils durent adapter leur audition et leur "langage" à la propagation des sons sous l'eau. En effet, sous l'eau, les sons sont réverbérés par la masse liquide, créant ainsi une seconde source sonore, distincte de l'originale. Avec un certain allongement du cràne, la bosse, les fosses nasales et l'organe à spermaceti évoluèrent pour entendre, "voir" et communiquer dans ce nouvel environnement. Un système de représentation sonore, l'écholocation, commença à se mettre en place vraisemblablement vers cette époque.

Le squalodon, est apparu environ 10 millions d'années aprés la disparition du Zygohriza ( 28 millions d'années ). Son rostre est sensiblement plus long et son aileron dorsal plus marqué.

Les dauphins et les marsouins actuels apparurent dés le début du miocène, il y a 10 à 15 millions d'années. Les delphinidés (dauphins marins), phocinidés (marsouins) et monodontidés (belugas) actuels descendent tous, dés le début du Miocène, des premiers Kentriodontes.

Une famille de dauphins d'eau douce, animaux assez étranges, les Platanistidés, évolua également à partir du miocène mais leurs fossiles sont extrèmement rares. Des ancètres de ces dauphins de rivière ont été repérés vers l'Oligocène mais les chercheurs ne comprennent pas tout à fait la chaine de leur évolution. Leurs prédécesseurs avaient, semble-t-il, de longs becs comme le squalodon, mais les paléontologues se demandent encore quel est leur véritable ancètre.

Les Pontoporidés ( dauphins des rades ) se développèrent également à cette mème époque et ils sont les seuls odontocètes vivants à symétrie crànienne.

D'autres familles du sous-ordre des odontocètes, les physétéridés (baleines à spermaceti) et les ziphiidés (baleines à bec) remontent respectivement au début et au milieu du Miocène. Leur relation aux premiers odontocètes n'est pas non plus clairement établie. Il est possible que nous ne découvrions jamais comment les dauphins et marsouins actuels ont évolué. Notre fascination pour ces créatures pour ces créatures se double d'une énorme frustration devant notre impuissance à reconstituer les pièces d'un puzzle dont la nature est particuliérement avare. De grandes quantité de fossiles datant du début du miocène, sans doute la plus importante et la plus variée dans son domaine, et provenant de la San Joaquin Valley, en Californie, ont été rassemblées par les chercheurs du Los Angeles County Museum. Malheureusement, elles attendent dans les hangars, par faute de crédits, recélant combien de merveilles et de réponses à nos questions.

Le sousouc ( le bec et les dents semblent proches de ceux de ses ancètres préhistoriques. Son habitat peu transparent a empéché le développement de ses petits yeux en tète d'épingle et a favorisé le développement d'un système d'écholocation trés élaboré )

Malgré cela, nous avons pu rassembler, ces dernières années, un nombre impressionnant de connaissances sur l'histoire de ces animaux. Si le rythme actuel de ces découvertes se maintient, nous en saurons encore beaucoup plus dans les années à venir. En attendant, leurs formes de vie actuelles nous laissent entrevoir une vision dynamique de leur vie et de leur évolution depuis leurs origines.

Squalodons et Kentriodontes partagent certainement un ancètre commun. Ce dernier qui vécut jusqu'à la fin du miocène, ressemble étonnamment à nos dauphins actuels.

Cet arbre généalogique montre l'évolution progressive du cràne dans les différentes familles de cétacés. Une nouvelle famille apparue à l'Eocène, les Remingtonocétidés, s'est greffée sur l'ordre des baleines fossiles ou Archéocètes. Une autre famille, les Albiréonidés est rattachée aux Odontocètes disparus. Les Albiréonidés sont étroitement liés aux Kentriodontes, d'où sont issus nos dauphins et marsouins modernes. Quand les Kentriodontidés se sont éteints à la fin de l'Oligocène, plusieurs formes d'odontocètes ressemblant à des dauphins continuèrent à vivre jusque vers le milieu du Miocène. Les Kentriodontidés furent probablement la souche ancestrale sur laquelle se greffent nos belougas, marsouins et dauphins marins.