Les baleines

La taille gigantesque des baleines a toujours fasciné les hommes. Depuis la nuit des temps,leur mode de vie a fait naitre les mythes et les légendes les plus fantastiques. Et sous le mot " baleine " se sont cachés pendant des siècles le mystére, l'extraordinaire ou la terreur. Il faut attendre le 16°siécle et la renaissance des sciences pour que les hommes reconnaissent la vraie nature des cétacés. Jusqu'alors les hypothèses,les observations,les récits fantastiques se confondent.....

LA LEGENDE DE LA BALEINE

cette gravure du 16°siécle illustre l'une des planches d'histoire naturelle d'un des tout premiers zoologistes européens, le suisse Conrad Gesner.

Le premier de tous ces récits se trouve dans la bible. C'est la célébre histoire de jonas, jeté à la mer par les marins pour calmer la tempète qui fait rage et menace de détruire le bateau. Jonas est avalé par une baleine qui le régurgite trois jours plus tard sur la terre ferme. Mais dans la bible ne figure pas le mot "baleine" .On y lit seulement :" dieu avait créé un "grand poisson" pour avaler jonas...."La bible et pline l'ancien nous parlent déja de ces grands animaux marins.Un autre animal biblique qui était certainement une baleine est le léviathan, animal gigantesque qui "fait bouillonner les abysses comme une chaudière . . . ". Le psaume CIV, 25-26 le décrit ainsi:"Voici la mer grande et vaste dans laquelle rampent des créatures innombrables, tant grandes que petites. Là voguent les navires: là se trouve le léviathan, que tu as fait pour jouer au sein des eaux.". Pline l'ancien,qui voyagera au premier siécle jusqu'en afrique du nord, nous a laissé une fabuleuse histoire naturelle. Il y explique que la mer est si grande et si illimitée que "ce n'est pas étonnant si on y trouve tant de créatures étranges et monstrueuses". Et pline ajoute que dans l"océan des gaules",on a découvert "un énorme poisson appelé physeter ("souffleur"en grec,ancien nom du cachalot) émergeant de la mer à la façon d'une colonne ou d'un pilier,plus haut méme que les voiles d'un bateau ; et alors,il faisait jaillir,et envoyait haut en l'air,une quantité considérable d'eau,comme si elle sortait d'un tuyau...."

< Sur le fragment de cette carte datant de la fin du moyen age, l'espace vide de la mer est "meublé" selon la tradition de l'époque par un animal marin monstrueux; ici une baleine reconnaissable à son jet d'eau.

" Et dieu parla du poisson. Et du fin fond du froid et des profondeurs noires, la baleine remonta vers les agréments du soleil et vers les délices de l'air et de la terre. Et elle vomit Jonas sur la terre sèche. "

Herman Melville. Moby Dick. >

Presque tout ce qui a été écrit sur les cétacés au moyen age provient de textes scandinaves et islandais. Le principal de ces textes s'appelle le speculum regale et date du milieu du 13°siécle.Le speculum regale décrit diverses espéces de cétacés vivant dans les mers autour de l'islande. D'aprés ce texte,les orques "ont des dents comme celles des chiens" et ils sont aussi agressifs envers les autres cétacés que le sont les chiens envers les autres animaux terrestres. Les orques s'assemblent donc et attaquent les grosses baleines.Et, chaque fois qu'ils trouvent une baleine isolée,ils l'épuisent en la mordant jusqu'à ce qu'elle en meure,"bien qu'avant de mourir elle puisse tuer un grand nombre d'attaquants de son souffle puissant".Le speculum regale établit que la téte de la baleine franche de l'atlantique est si grande qu'elle représente le tiers du corps tout entier. Il donne une description remarquable de ses moeurs et il ajoute :"Mais ce poisson se nourrit proprement car on dit qu'il ne mange aucune nourriture,si ce n'est l'obscurité et la pluie qui tombe sur la mer. Et quand il est pris et qu'on ouvre son intestin,on ne trouve rien de sale dans son estomac.

Autres gravures du 16ème siècle

une attaque de "ces monstres" que l'on détournait

alors en leur jetant des tonneaux.

Le speculum regale donne des descriptions de quelques monstres terribles parmi les cétacés,qui détruisent les navires et les hommes. Ils portent alors des noms bizarres : "cheval-baleine", "cochon-baleine", ou "baleine-rouge". Mais des espéces bien connues tels le cachalot ou le narval y figurent également. Ces monstres sont féroces et cruels. "ils ne sont jamais repus de leurs tueries alors qu'ils parcourent les océans en tous sens à la recherche des navires.Ils bondissent dans l'air de telle sorte qu'ils peuvent se déplacer facilement,faire sombrer les navires et les détruire totalement. Ces poissons ne sont pas comestibles,mais sont au contraire destinés à étre l'ennemi de l'humanité!". Néanmoins, le Speculum Regale cite aussi des exemples de "bons cétacés". Parmi ces derniers, le "conducteur de poissons" est particulièrement utile aux pécheurs parce qu'il pousse les harengs et toutes sortes d'autres poissons depuis la pleine mer jusqu'au rivage. Ce qui est encore plus remarquable, ajoute le speculum regale, c'est que, poussant vers eux tous ces poissons, il épargne navires et hommes, "comme si dieu avait décidé qu'il en serait ainsi aussi longtemps que les pécheurs se comporteraient de façon pacifique, mais qu'ils se querellent et se battent au point de verser le sang, le cétacé s'en aperçoit et bloque la voie vers le rivage, poussant tous les poissons vers le large". "Baleine du diable" ou baleine inspirée par dieu, les Islandais et les Irlandais ne partagent pas les mèmes croyances. Au moyen age, les marins Islandais éprouvent une grande crainte pour ce qu'ils appellent les "baleines du diable". Il est mème dangereux de prononcer leur nom en mer: si l'on en parle, elles s'approchent du bateau et essaient de le détruire . . . Le nom de "baleine" est donc tabou, et tout marin qui se rend coupable de le prononcer est privé de nourriture. Alors, lorsqu'ils veulent évoquer les cétacés en mer, les hommes les désignent sous le nom de "grands poissons". Les Islandais pensent d'ailleurs que certains d'entre eux sont friands de chair humaine et qu'ils s'attardent une année entière à l'endroit où ils ont trouvé une telle nourriture. Ils évitent donc les hauts-fonds où les baleines ont déja coulé des navires. On trouve dans les folklores de nombreux pays des histoires de marins prenant par erreur une baleine endormie pour une ile; la baleine se réveille et plonge, noyant les hommes. C'est exactement la légende de saint brendan, l'abbé bénédictin Irlandais qui, en 565, fait voile vers l'ouest sur l'océan atlantique, à la recherche de la terre sainte. Au cours de son voyage, il débarque avec ses hommes sur le dos d'une immense baleine. Le saint homme y installe tranquilement un autel et célèbre une messe. Mais, il ne subit pas les conséquences tragiques de son erreur, et la baleine le laisse finir sa messe.

Les premiers Islandais racontaient des histoires de baleine cheval ou encore d'inquiétantes baleines à tête rouge qui, selon eux, écumaient les mers en immenses hardes, détruisant tous les bateaux sur leur passage. Le narval mâle était considéré comme une licorne mythique, un cheval blanc avec une corne sur le front. Jusqu'à ce que les pêcheurs de baleines européens découvrent la vérité, des marchands du nord vendaient la défense du narval sous le nom de corne de la licorne mythique. Et même aujourd'hui, de l'autre coté du monde, les peuples qui vivent au bord de l'amazone racontent l'histoire de dauphins d'eau douce déguisés en homme qui, pendant la fête du village, viennent sur le rivage pour courtiser les femmes.

A la vue de cette "baleine porcine" du 16ème siècle, comment ne pas se rappeler que l'ancètre des cétacés était sans doute un animal terrestre ?

La légende de saint Brendan raconte la navigation du saint sur les océans. Dans cette histoire symbolique. Dieu est l'océan et l'église une nef sur les flots de l'éternité. Pour parvenir au paradis, il faut subir des épreuves. Saint Bredan et ses disciples devront donc affronter trois mois de tempètes, puis un monstre marin "plus fort que quinze taureaux en furie". Pendant le voyage ils rencontrent tantot une ile aussi blanche qu'un troupeau de brebis; tantot une autre, noire et aride, qui s'engloutit devant le moine: c'est le dos du "plus gros des poissons vivants" ! Une église de cristal apparait sur la mer. Plus tard ce sont les fumées des flammes de l'enfer. Parfois flottent sur les vagues de grosses noix contenant un liquide parfumé ressemblant au lait . . . Un conte merveilleux ? Oui, mais la réalité géographique transparait derrière les symboles: l'ile aux brebis c'est l'une des iles féroé, l'enfer est l'un des volcans islandais, les noix au lait sucré rappellent curieusement les noix de coco que l'on trouve aux canaries, aux açores ou aux antilles. Quant à l'ile noire qui s'enfonce, qui peut douter qu'il s'agit d'une baleine ? Brendan a existé. Né en Irlande en 484, il est l'un de ces moines voyageurs qui évangélisèrent le pays de Galle et les Hébrides.

Au japon on célèbre un service religieux pour les àmes des baleines mortes et pour leurs petits.Dans la mer du japon,au large des cotes occidentales,se trouve une ile appelée seikai-to ; là ,dans un temple bouddhique de la ville de kayoiura,on dit encore aujourd'hui une priére pour le repos des àmes des baleines tuées par les chasseurs.Ce service religieux commence le 29 avril et dure cinq jours. Et cela,depuis 1679! Dans les fondations de ce temple se trouve un reliquaire appelé seigetsu-an,prés duquel se dressent un tombeau et un monument de granit de 2,20m de haut. Autrefois,les embryons de baleineau pris dans le ventre des mères en cours de dépecage étaient portés là et brulés,enveloppés de nattes de paille. Les pécheurs,émus par l'affection profonde que manifestent les mères baleines pour leurs petits,avaient en effet demandé qu'un tombeau leur soit construit et un service religieux spécialement consacré.Ils faisaient des offrandes de grande valeur et les moines chantaient aussi sérieusement et avec autant de sentiment que pour des humains. On tenait un registre nécrologique ou l'on notait,avec la date exacte de capture,chaque baleine en terrée,aprés qu'on lui eut donné un nom bouddhique posthume.

Le filet est le secret de cette chasse. Les chasseurs, de 500 à 800 personnes, sont répartis dans 20 à 40 barques. Comme le filet ne descend pas profondément dans l'eau, il faut d'abord pousser les baleines vers des lieux de faible profondeur. Quand les rabatteurs ont conduit la baleine à moins de 400 mètres du lieu de capture, les bateaux contenant les filets attendent en trois endroits précis, préts à jeter leurs filets; sur un signal du maitre d'équipage, ils rament à toute force pour s'éloigner les uns des autres et lancent leurs filets en mème temps. Les rabatteurs laissent un passage libre à la baleine et poussent des cris terribles en frappant les flancs de leurs bateaux. Affolée, la baleine se jette dans les filets. On la harponne dès qu'elle remonte à la surface pour souffler et se reposer.

Après avoir vu les baleines s'échouer sur les cotes,les hommes se sont mis à les poursuivre. La chasse à la baleine est pratiquée depuis trés longtemps par les peuples aussi variés que les esquimaux,les norvégiens,les indiens d'amérique du nord,les basques ou les japonais.Aprés avoir découvert une dent de cachalot dans le gisement paléolithique de bedeilhac (ariége),on s'est demandé se déjà à l'époque prehistorique les habitants des cotes ne chassaient pas les baleines. On pense en réalité que les tout premiers "consommateurs" de baleine n'étaient pas des chasseurs : ils se contentaient de récupérer les baleines échouées sur les plages.La technologie de l'époque ignorait le fer,et ne permettait pas de fabriquer les lignes. Pourtant,on peut supposer que,comme les habitants des iles aléoutiennes ou les esquimaux du groenland,ces populations ont découvert la technique consistant à enduire de poison un petit harpon taillé dans une défense de morse,à le planter dans la béte et à la suivre jusqu'à ce qu'elle expire.

Avant l'arrivée d'une foule nombreuse attirée par l'événement, deux hommes mesurent un globicéphale échoué sur la cote. On rencontre ces cétacés bien reconnaissables à leur front faisant saillie au-dessus d'une sorte de bec, dans toutes les mers et en particulier aux iles féroé, dans la mer du nord et à terre-neuve. Ils vivent en groupe allant d'une demi-douzaine à plus de deux cents individus et les échouages de masse sont plus fréquents que l'échouage individuel représenté sur cette gravure.

Aux premiers temps de la chasse à la baleine, les hommes se demandaient s'ils chassaient des poissons ressemblant à des mammifères ou des mammifères déguisés en poissons. Les baleiniers, eux, pensaient avoir affaire à un poisson. Un marin écrivait un jour : " Comme les poissons, les baleines ont la peau lisse; Comme les poissons, les baleines ont des nageoires; Comme les poissons, les baleines ont une queue. J'en conclus donc que les baleines sont des poissons. "Au début du moyen age,les norvegiens traquent les petites baleines en les rabattant sur le rivage : bloquées dans d'étroits fjords,elles sont ensuite achevées à la lance par les chasseurs. Cette technique-rabattage puis mise à mort- s'appelle le grind. Mais il arrive que parmi la quantité de baleines rabattues certaines s'échappent. Alors,on les poursuit en mer. C'est ainsi que commence l'histoire de la chasse à la baleine..... Les basques sont les premiers qui osent vraiment s'attaquer aux baleines en pleine mer. Ils utilisent pour cela des "harpons libres", c'est-à-dire attachés non pas au bateau mais à un flotteur. Une véritable "meute" d'embarcations lance le plus de harpons possible sur une seule baleine. La grande technique de chasse à la baleine vient de voir le jour.

Une baleine vient de faire chavirer un des nombreux canots qui la poursuivent. Au second plan,le cadavre d'une autre baleine est remorqué vers le navire de haute mer.

Amenée le long du navire,la baleine commence à etre dépecée.Les trancheurs,retenus par des "cordes à singes",découpent les bandes de lard qu'un grand palan permet de tirer à bord.

Sur cette coupe de navire,on peut voir le travail des matelots qui fondent le lard à bord méme du bateau,le filtrent et le stockent sous forme d'huile dans des tonneaux soigneusement rangés dans les cales.

quand le lieu de capture est proche de la station cotiére,les cadavres de baleines,pesant jusqu'a 100tonnes,sont remorqués jusqu'à terre par les canots.Là,les dépeceurs découpent les laniéres de lard

.Le lard débité en petits morceaux est mis à fondre dans de grands fondoirs circulaires en brique.

L'huile obtenue est versée dans des bacs de décantation : des cuves à moitié remplies d'eau.Une fois les impuretés déposées au fond,l'huile est enfin transvasée dans de grandes barriques