AVENTURE

LE PHOTOGRAPHE FACE AUX ORQUES

Se retrouver sous l'eau nez à nez avec cinq orques n'est pas donné à tout un chacun. C'est l'un des moments forts vécus par Xavier Desmier qui a passé trois mois dans une des iles de Crozet, un archipel perdu aux confins de l'Antarctique, pour photographier ces animaux hors du commun. Témoignage d'une aventure exceptionnelle.

Archipel de crozet. Coincé entre les quarantièmes rugissants et les cinquantièmes hurlants, ces cinq iles font partie des terres australes et antarctiques françaises. Avec ses quinze kilomètres de long et de large, possession est la plus grande. Cette ile à peu près circulaire est particulièrement accidentée, trés montagneuse, avec des sommets à prés de 1000 m. d'altitude. Un paysage de roche ou seuls quelques herbes et lichens s'obstinent à croitre. Un univers chaotique de falaises cotières acérées, de tourbières humides et de petites baies abritant quelques plages de galets ou de sable noir. Le climat est plutot rude. Une température oscillant entre -5°c et +5°c et un climat perpètuellement changeant. Tantot la neige, tantot la pluie, avec des apparitions du soleil entre deux nuages. Baignant le tout, le vent, omniprésent. Il souffle régulièrement à plus de 100km/h et seul l'abri des vallées encaissés permet de s'y soustraire et de jouir d'un silence absolu, parfois interrompu par le cri d'un oiseau de passage. Au centre de l'ile, hormis les rats, il n'y a pas àme qui vive. Au sud-est, une trentaine de personnes vivent à la base Albert Faure. Des scientifiques s'occupant de la station météo, de la base radio, de recherches biologiques ou de suivi des populations animales et, bien sur, le personnel d'intendance. En fait, la vie s'est installée sur les rivages. A commencer par les oiseaux. Skuas, pétrels géants et autres albatros, sans oublier plusieurs colonies de manchots royaux qui viennent s'y reproduire de septembre à mai.

Xavier Desmier Le piège Premier contact

Les orques guettent les éléphants.

Pour les éléphants de mer aussi, la saison des amours et les naissances se déroulent ici. Mi-septembre, les premiers gros màles dominants, les "pachas", arrivent dans la baie Américaine ou Xavier Desmier et ses compagnons ont établi leur camp de base dans une baraque en tole. Les màles sont bientot suivis par les femelles pleines qui mettent aussitot leur petit au monde. Les "bonbons", dit-on joliement. Chaque femelle accouche d'un seul petit qui mesure environ 50 cm. à sa naissance et qui pèsera entre 100 et 150 kilos un mois plus tard, au moment du sevrage. Un mois durant lequel la mère se contente d'allaiter sans mème se nourrir, et perd 50% de son poids. C'est aussi à cette époque que les premières orques arrivent dans l'archipel. Aprés avoir sevré leurs petits, les femelles éléphants de mer s'accouplent avec leur màle dominant. Aprés quoi les femelles partent en mer pendant un à deux mois pour y reconstituer leur réserve de graisse. Et là............... Les orques attendent ! ! ! Durant la mème période, entre la fin octobre et le début novembre, les jeunes éléphants de mer de l'année précédente reviennent à la baie Américaine pour y muer. Et là ... Les orques attendent ! Pendant ce temps les "bonbons" se sont regroupés dans la rivière débouchant sur la baie. C'est là qu'ils apprennent à jouer et à nager, à l'abri des prédateurs. Fin nivembre et début décembre, la faim les tenaille et l'appel de la mer se fait sentir . Il est temps pour eux de partir chasser. Et là... les orques attendent.

Chasse en famille

A crozet, à la belle saison, une centaine d'orques vivent en familles de cinq ou six individus, chacune ayant son territoire de chasse de prédilection. Si les orques patrouillent beaucoup dans tout l'archipel, elles reviennent fréquemment sur les mèmes terrains de chasse. Parfois, plusieurs famille se réunissent un temps, pour chasser des baleines par exemple. La baie Américaine est le terrain de chasse préféré d'une famille de cinq orques. Le chef de famille, une grande femelle dominante, veille sur son fils ainé, qui joue le role de "sous-chef", et sur ses deux filles de cinq et dix ans ainsi que sur un autre jeune màle, sans doute de l'année. Cette famille a mis au point des techniques de chasse trés élaborées, ainsi qu'ont pu en juger Xavier et ses compagnons. Ces comportements trés spécifiques, propres aux orques qui chassent les mammifères marins, n'ont d'ailleurs été observés qu'en trois endroits. En péninsule Valdes (Argentine) et autour de l'ile Marion (au large de l'Afrique du Sud) ou elles se nourrissent principalement d'otaries; à Crozet ou elles se repaissent d'éléphants de mer. Sur Possession, d'une manière générale, la mère, parfois accompagnée d'une ou de ses deux filles, patrouille près du rivage tandis que les màles restent au large. Dés qu'un éléphant de mer se jettent à l'eau, les femelles accourent. Elles empèchent les pinnipèdes de revenir vers le rivage et les poussent vers l'intèrieur de la baie, dans la gueule du loup. Une fois pris au piège de la baie, l'éléphant de mer ne peut en réchapper. Le màle ainé arrive aussitot pour le tuer aprés une série de jeux spectaculaires. Pendant une demi-heure, il joue au chat et à la souris. Cruelles aux yeux des humains, ces joutes ne sont pas gratuites et n'ont d'autre but que d'apprendre l'art de la chasse aux plus jeunes. Les orques émettent ici trés peu de messages sonores. sans doute pour ne pas alerter les éléphants de mer qui possédent une excellente ouie.

Si cette famille a adopté la baie Américaine pour terrain de chasse, c'est aussi à cause des particularités morphologiques du lieu. La plage descend sous l'eau en pente douce jusqu'à une profondeur d'environ un mètre, avant de former un talus plus abrupt jusqu'à 2-3 mètres. C'est là, au pied de cette marche que patrouillent les femelles. Parfois, elles effectuent un passage, aileron dorsal hors de l'eau, sans doute pour effrayer les éléphants de mer. Parfois, elles repassent, aileron dorsal sous l'eau, bien cachées à l'affut. Evidemment les éléphants de mer ont adapté leur comportement à ces dangereux voisins. Ainsi les "bonbons" donnent-ils leurs premiers coups de nageoires dans la rivière voisine et non en mer. Puis ils commencent prudemment à barboter près du rivage, une zone que les orques évitent par crainte de s'échouer. Mais toujours sous la surveillance d'un adulte ou d'un autre jeune. Ce n'est que lorsqu'ils ont atteint un degré suffisant de maturité qu'ils s'élancent tous ensemble pour le grand départ. Généralement de nuit et en longeant la cote pour échapper aux orques.

Sous l'eau face à ..............cinq orques.

Le premier contact "physique" entre les humains et les orques a eu lieu début novembre. Xavier Desmier et Laurent Guénoun, caméraman de Saint-Thomas Production, avaient remarqué que, lorsqu'ils marchaient dans l'eau, le bruit de leurs pas attirait les orques. "Aprés avoir "clapoté" un peu pour susciter la curiosité des orques, nous nous sommes avancés dans l'eau jusqu'à en avoir à mi-cuisses, explique Xavier. On ne voyait rien, mais nous savions que les orques étaient là, quelque part. Ensuite on s'est allongé dans l'eau et là.... on a vu les cinq orques, face à nous, en rang d'oignon et qui nous étudiaient" !

Par la suite, les orques ne venaient plus à la mise à l'eau des hommes. Seule une femelle, tantot la mère dominante, tantot la femelle la plus àgée, faisait un passage. Pour voir. Puis la famille reprenait un comportement normal. Dans ces conditions, la prise de vue était difficile. A plus forte raison dans une eau à 4-5°c, avec une visibilité de 2 à 3 m. Plus tard, la petite femelle, cinq mètre de long quand mème ! se montrera la plus curieuse. aux dires des scientifiques, il pourrait bien s'agir de delphine, une jeune orque qui s'était échouée sur la baie Américaine quatre ans plus tot et qu'ils avaient remise à l'eau. Ce premier contact avec les humains l'aurait donc rendue plus sociable. Un jour, Laurent Guénoun décide de faire quelques images de manchots dans la petite baie adjacente ou vit une colonie de plusieurs milliers d'individus. Là, trois petits rochers affleurent au pied de la falaise et les orques ont l'habitude d'y jouer et de manger du kelp. Sans doute pour se purger, un tel comportement n'ayant jamais été observé au préalable. Cette fois, c'est la mère dominante qui fait plusieurs passages, à quelques mètres de Laurent, adossé à la roche.....

Elle fonce, gueule ouverte.

Le lendemain, Xavier s'enhardit. Il décide de quitter l'abri du rivage et de s'aventurer au-delà du talus. Il raconte: " Laurent filmait au bord, assuré par une longe tenue par son coéquipier sur le rivage. Les orques s'étaient habituées à nous et, contrairement à nos craintes du départ, savaient parfaitement faire la différence entre un éléphant de mer et un plongeur ! J'ai donc décidé de tenter le coup et de partir un peu au large. Je quitte l'abri du talus et m'aventure à 50m. du rivage. Et là, dans la minute qui a suivi, j'ai vu une orque arriver droit sur moi, gueule ouverte, et qui s'est arrrétée à 50 cm. ! Décharge d'adrénaline et émotion garantie ! Peut-ètre s'agissait-il d'une manoeuvre d'intimidation, je n'en sais rien. Toujours est-il qu'elle est repartie puis revenue plusieurs fois. Il s'agissait sans doute de Delphine et son manège a duré une bonne dizaine de minutes. Elle jouait avec moi comme un dauphin, visiblement attirée par le hublot du caisson. Etait-elle intriguée par le reflet de sa propre image ou le percevait-elle comme un gros oeil ? Un climat de confiance mutuelle s'est ensuite instauré et Delphine revenait régulièrement me voir ".

Peu à peu, au fil des semaines et des plongées, les orques s'attardent davantage avec les hommes avant de s'en aller. Sauf le grand màle et le petit qui restent toujours au large. Ce n'est que vers la fin du séjour que l'ainé est venu montrer son petit frère. Une véritable marque de confiance.Une telle rencontre constitue bien évidemment une expèrience rare ou le danger est omniprésent. "On vit là des sensations extrèmement fortes, inoubliables, se souvient Xavier. On éprouve un sentiment de grande fragilité devant la puissance extraordinaire de l'animal. De plus, tout dénote un comportement intelligent. A cotoyer les orques, on se rend compte que ce sont véritablement elles qui nous acceptent dans leur domaine. Mais jusqu'ou ? Un jour seront-elles tentées de gouter ?"