Dieux et dauphin

Le son que vous entendez est un dauphin commun

Dauphins et marsouins ont, de tout temps, intrigué l'homme. Qu'ils soient considérés comme des compagnons de jeu, des divinités ou des empécheur de pécher en rond, ces proches cousins des baleines furent, et sont encore, idolatres ou méprisés dans presque toutes les cultures littorales. Le mot grec DELPHYS signifiant "matrice", illustre assez clairement le respect des anciens grecs pour cet être des origines.

Les dauphins furent idolatrés par toutes les civilisations maritimes d'orient et d'occident dont sont issues toutes nos sociétés actuelles. Tandis que les dieux grecs célébraient à leur manière la maitrise des hommes sur leur environnement, les religions des déesses-mères faisaient adorer les rapports étroits avec la terre dont nous faisons partie et la générosités de la mer et du sol à dispenser la vie. Aujourd'hui, nombreux sont ceux qui se tournent de nouveau vers cette mythologie delphique afin de retrouver l'un des nombreux chemins que l'homme a perdus et qui mènent à l'amour de notre mère-nature. L'étude scientifique et l'histoire de leur symbolisme mythologique remontent aux débuts de la civilisation. Vers 2200 avant JC des dauphins étaient représentés sur les murs d'une grotte en Norvége. Depuis l'Europe occidentale jusqu'à la lointaine Asie en passant par les déserts du Proche et du Moyen-Orient, le thème du dauphin a orné poteries, monnaies et sculptures. De mème, légendes et chansons abondent de références à ces créatures hors du commun. Depuis ces émouvantes traces archéologiques, artistiques ou religieuses jusqu'aux aventures télévisuelles d'un jeune garçon et de son dauphin d'ami,les expérience avec les dauphins "ambassadeur". Les efforts pour sauver ces espèces, menacées par les pratiques sauvages de la pêche industrielle et la pollution débridée de leurs habitats. Le dauphin occupe inexplicablement notre subconscient.

Cette amphore, ces monnaies et ce collier représentent quelques-uns des nombreux objets à décors de dauphins que les anciens Grecs affectionnaient, car cet animal portait bonheur et assurait bonne route au voyageur.

Comme pour beaucoup d'autres mystères de la nature, les grecs contribuèrent largement à notre connaissance des dauphins. Les Dieux Grecs qui avaient à la fois l'apparence humaine et pouvoirs surnaturels, prenaient parfois la forme de dauphins. Ces mammifères marins mélaient leurs vies à celles des dieux et des déesses dont les exploits représentaient des allégories morales destinées aux citoyens de la Grèce antique. APOLLON, DEMETER et APHRODITE sont quelques-unes des divinités qui furent associées aux dauphins. La familiarité des Grecs avec les dauphins est manifeste si l'on observe leurs temples et leur statuaire. Au pied du mont Parnasse, le sites de delphes était le centre religieux le plus important du monde Grec, bien avant la construction de son célèbre temple dédié à Apollon, entre le 7 et le 6ème siècle avant J-C. Dés le 14ème siècle avant J-C des fidèles venaient là pour y entendre les oracles de la Pythonisse, prètresse d'Apollon et de Gaia, nom mythologique de la terre-mère. Selon la mythologie grecque, Apollon, dieu de la lumiére, de la raison et de la culture, rivalisa avec le fils de Gaia, Python, qui avait la forme d'un serpent, pour savoir lequel d'entre eux serait honoré en ce lieu. Apollon prit la forme d'un troupeau de dauphins et guida un navire égaré depuis la Créte jusqu'au golfe de Corinthe, à peu de distance du mont Parnasse. Les marins, agréablement surpris de l'exceptionnelle sollicitude de ces animaux firent le voeu de continuer à servir en ce lieu Apollon et lui donnérent le nom de DELPHES, en l'honneur des dauphins (delphys) miraculeux. Le temple d'Apollon était considéré comme le centre de l'univers. Les Grecs interrogeaient le dieu pour savoir comment mener leur vie personnelle ou comment gérer les affaires de l'état. Le septième jour du mois delphique, jour anniversaire d'Apollon, la Pythie. Grande prétresse tout de blanc vétue, entrait dans le temple pour y manger des feuilles de laurier, arbre sacré d'Apollon; puis elle prononçait les oracles, ou paroles d'apollon.

< une version de la légende d'Apollon dit qu'il avait l'habitude de parcourir la Méditerranée sur le dos d'un dauphin

Le temple du trésor à Delphes, partiellement restauré, est recouvert de notations musicales à la gloire d' Apollon >

De nombreuses autres cultures préhelléniques vénérèrent également les dauphins. Des frises et des fresques les représentant dans le palais Crétois de Cnossos sont parmi les plus belles représentations artistiques connues du monde antique. Des Minoens aux Mycéniens et des Phéniciens aux Grecs et aux Romains, les dauphins sont présents, tant dans l'iconographie magique et religieuse que sur les ondes usuels-vases, coupes, monnaies, etc . . . La culture Grecque influença trés profondément les cultures qui lui succédèrent, dans l'antiquité et jusqu'à nos jours. Dans le sillage du commerce qu'ils pratiquaient, leur culture et leur religion se répandit dans tout le bassin méditerranéen. Les dauphins furent ainsi vénérés loin à l'intérieur des terres comme le long des cotes. Pour la plupart de ces cultures, le dauphin signifiait l'assurance d'un voyage sans histoires, de fertilité et d'heureuse destinée. Le dauphin apparut dans des civilisations trés éloignées les unes des autres, d'Asie, d'Inde, du Proche-orient et d'Europe. La civilisation Nabatéenne, qui occupa depuis le désert du Néguev jusqu'au Tigre et à l'Euphrate (du 2èmè siècle avant au 2ème siècle aprés J-C). Tira une grande partie de sa symbolique religieuse de l'exemple hellénistique.

< Cette fresque du palais de Cnossos, dans l'ile de Crète, constitue l'une des plus belles représentations antiques de dauphins.

Pour les Grecs et toutes les cultures préhelléniques, le temple de Delphes était le centre de l'univers. A l'origine gaia, la terre-mère, était la maitresse des lieux mais Apollon la supplanta un jour pour en rester le maitre-oracle incontesté durant des siècles. >

La déesse nabatéenne Atargatis se transformait trés souvent en poisson, en dauphin ou en épi de blé. Vénérée pour la sécurité qu'elle assurait aux voyageurs, la déesse-dauphin était annonciatrice d'un temps clément et était intimement liée au concept nabatéen de destin. Une pièce de monnaie à l'effigie de dauphin dans le creux de la main du défunt, lui assurait un voyage sans incident vers l'au-dela. Comme le souligne Nelson Glueck dans son ouvrage "dieux et dauphins", ses animaux représentant "le secours dans le péril, l'assurance dans l'inconnu et la bénédiction dans l'au-delà". La déesse ATARGATIS représentait la terre, la mer et les nourritures terrestres. Alors q'un des avatars d'Atargatis, La déesse POISSON était associé à la fertilité, certains érudits pensent que les attributs de la déesse-poisson et de la déesse-dauphin, bien distinctes à l'origine, se fondirent progressivement l'un dans l'autre. Déesse-poisson, Atargatis était "l'incarnation du principe femelle dont la matrice lui conférait le role de génitrice suprème. Déesse-dauphin, elle était un aimable génie qui calmait les flots déchainés, débarrassait le ciel de ses nuées menaçantes et menait le voyageur à bon port, durant le court chemin de sa vie terrestre et l'interminable trajet vers l'au-delà". Une autre déesse nabatéenne familière des dauphins était Galenaia, l'aphrodite des grecs, déesse de l'amour physique, née de l'écume de la mer. Galenaia était l'assurance d'un climat serein pour les nabatéens, dont dépendait en grande partie leur économie. L'un des quatre éléments sacrés, l'eau est pourvoyeuse de vie et les dauphins étaient naturellement directement associés à ce symbole. La société Nabatéenne n'est qu'un exemple parmi d'autre civilisations ayant voué un culte fervent aux dauphins. Ces derniers apparaissent également dans la statuaire romaine, chevauchés par Cupidon aux cotés de Vénus et sur Un sarcophage juif datant du deuxiéme siécle aprés JC, retrouvé à Beit Shearim, près d'Haifa. Le symbole poisson-dauphin avait également une grande signification pour les chrétiens. Pour les premiers chrétiens, le dauphin était symbole de renaissance. Il était l'"intercesseur qui protégeait l'homme dans la tumulte des flots et le guidait jusqu'à terre, lavé de ses péchés". On pense, depuis peu, que le poisson marquant symboliquement le signe de reconnaissance des chrétiens persécutés, prenait en fait son origine dans la trés ancienne symbolique du dauphin.

Images du sarcophage, visible au musée du louvre, des dauphins jouent avec les nymphes. Dans certaines cultures, les dauphins assuraient au défunt un voyage serein vers l'au-delà.

La religion est parfois considérée comme une des nombreuses tentatives humaines pour interpréter la nature, et la science comme le moyen de la maitriser. En mème temps qu'ils révéraient les dauphins comme ètres surnaturels, les Grecs étudièrent leur comportement en tant que simples animaux. Dans son histoire des animaux, Aristote (384 - 322 avant J-C) fut le premier à distinguer les dauphins des marsouins et à décrire avec précision le comportement des premiers. Plus tard, Pline l'ancien (23 - 79 aprés J-C) traita du mème sujet dans son histoire naturelle, basant ses conclusions sur les récits colportés par les gens de la mer. Il fut le premier à décrire les relations entre pècheurs et dauphins, notant, par exemple, que les premiers suivaient souvent les seconds pour profiter de leurs proies. Comme les Grecs, les contemporains de Pline avaient un énorme respect pour les dauphins mais au lieu de leur conférer des pouvoirs surnaturels, l'auteur insista sur leur sollicitude légendaire et leurs soi-disant talents de chanteurs, les rapprochant ainsi encore plus de l'homme. Les dauphins "chantent" effectivement et les témoignages abondent sur leurs relations amicales avec l'homme, mais Pline en exagéra sérieusement la portée. Plus leurs facultés et leur comportement furent connus, plus leur poids mythique et symbolique grandit dans l'esprit des hommes. L'"affabilité" des dauphins continua de hanter l'imagination des hommes. Dans les fables d'Esope, le dauphin apparait comme la voix de la raison. Les siècles s'écoulant, et les philosophes considérant de plus en plus que l'homme était le centre de l'univers, le dauphin fut l'objet d'un anthropomorphisme débridé.

< Aristote fut le premier à noter le comportement des dauphins et des marsouins et à les distinguer les uns des autres comme deux branches d'une méme famille. Son histoire des animaux fut une source d'information importante pour les savants qui suivirent, comme Pline l'ancien.

Tirée d'une fresque de Raphael, artiste italien de la renaissance, cette gravure montre deux dauphins tirant le char marin de la nymphe Galatée. >

La Gesta Romanorum, datant du 13ème siécle, relate les aventures d'un garçon et d'un dauphin s'étant pris d'amitié l'un pour l'autre. Un jour, l'animal ne revint pas et l'enfant se noie dans la marée montante en l'attendant sur le rivage. A marée basse, le dauphin revient enfin, trouve le corps inanimé de son compagnon et se laisse, à son tour, mourir de chagrin. Tandis que les récits de la Gesta Romanorum constituaient des paraboles morales, l'idée que les dauphins étaient capables d'émotion et possédaient donc un cerveau complexe qui en faisait des ètres sensibles et intelligents donna lieu à de vives controverses dans le monde scientifique. Dans le courant du 16ème siècle, les savants commençèrent à faire la relation entre le cerveau, d'une part, et l'"àme", d'autre part. Comme le fait remarquer John Lilly, spécialiste de la communication chez les dauphins, "Au temps des Grecs et des Romains, on faisait trés peu, sinon aucune, relation entre cerveau et réflexion. A l'époque, on attribuait les performances de l'homme à d'autres organes que la machine cervicale". A partir de quelques premières constatations, on commença à mettre en relation taille du cerveau et intelligence. En 1843, Sir William Jardine, notant que le cerveau du dauphin était relativement gros, comparé au poids de l'animal, il osa faire la remarque que le dauphin " était doué d'une intelligence et de facultés bien au-dessus de la normale "

Mosaique trouvée en 1856, dans les thermes du nord, lors du percement du boulevard saint michel (Musée de Cluny).

Fragment d'une composition à sujet marin, probablement la scène dans laquelle un amour porte a la nymphe Galatée.

La déclaration de Polyphème.

En mème temps que la science commençait à comparer les dauphins à l'homme, leur signification mythologique évolua également. La reconnaissance indubitable de leur intelligence supérieure, les facultés exceptionnelles des dauphins s'appuyaient désormais sur une solide base scientifique. Avec la connaissance accrue de leur facultés, l'homme fut à mème de découvrir en eux des possibilités absolument inexistantes chez les autres animaux. John Lilly pense que nous serons un jour en mesure de converser avec les dauphins, leur permettant peut-ètre ainsi de donner un avis autorisé sur la nature humaine. Aujourd'hui, notre connaissance des dauphins a favorisé l'émergence de nouveaux mythes qui les placent de nouveau au rang des dieux. L'hypothèse scientifique dite "de Gaea", la planète terre et tout ce qui s'y trouve ne formerait qu'un seul et mème organisme géant, avance que la destruction des dauphins soit par la pèche soit par la pollution, agresserait directement l'ètre humain. Selon les tenants de cette hypothèse, le bonheur commun de tous les habitants de la planète est une nécessité impérieuse et sacrée, alors que les humains " se sont élevés au-delà et au-dessus des ètres qui les entourent, ne les considérant que comme de simples figurants du drame humain ". Seul le retour à de meilleurs sentiments et à un respect raisonnable de la nature, dont nous faisons partie, peut nous garantir une survie honorable. Plus qu'une simple conscience écologique, les "Gaéens" s'efforcent de réhabiliter une notion perdue depuis longtemps chez l'homme: le sens du sacré dans la nature. Les dauphins deviendront-ils les symboles vivants de ce nouveau graal ?

Joseph Campbell, auteur du "héros aux mille visages", a écrit que les hommes ont précisément perdu les mythes traditionnels qui les reliaient a la nature et à leur culture. Campbell pense que nous devons créer de nouveaux mythes pour nous percevoir, dans une perspective holiste, comme une partie du tout. Armé d'une telle philosophie, l'ètre humain serait en mesure de vivre en paix et en harmonie avec la terre. La technologie et la science nous ont petit à petit éloigné de la nature. Pourtant, Campbell, au lieu de rejeter systématiquement la science, pense que nous devrions l'utiliser à développer notre sens de l'émerveillement. Un monde qui privilégie l'artificiel au détriment du naturel et place l'homme au centre de l'univers ne peut qu'envisager les extraordinaires dons de ces dauphins sous l'angle d'un nouveau "matériau" à maitriser.

Aujourd'hui, un nombre croissant de personnes se rend compte que cette maitrise et cette exploitation de l'environnement constituent une grave menace, et parmi ceux-ci, certains se sentent proches des anciens Grecs, lorsque le respect et la sauvagerie de la mère-nature signifiaient autant que la frénésie à maintenir "un certain niveau de vie", pour certains de nos contemporains. Dans la série de télévision Flipper le dauphin, l'animal faisait souvent découvrir à son ami Sandy de nouveaux territoires de pèche. A notre tour, nous pourrions peut-ètre songer à offrir aux Flipper actuels, et à nous-mèmes, des rivières et des mers plus propres et plus hospitalières.