UNE INVENTION EFFROYABLE

En 1864,une innovation technique révolutionne la chasse à la baleine. Le capitaine Svend Foyn,un norvégien maitre chasseur de phoques,met au point un redoutable harpon explosif propulsé par un canon, d'une portée de cinquantes mètres.Une fois planté dans les chairs de l'animal, des barbillons s'ouvrent en étoile, brisant une fiole remplie d'acide sulfurique qui met le feu à une réserve de poudre. L'explosion provoque la mort de la baleine.

Le son que vous entendez, est un rorqual bleu.

SVEN FOYN

le canon lance-harpons c'est 70 kg de métal avec une téte bourrée d'explosifs. le zodiac de greenpeace tente de s'interposer entre le baleinier et la baleine au large de l'espagne.Malheureusement,le harpon a touché une baleine,le zodiac a du s'écarter.devant l'étrave du navire,la baleine agonise

Sven foyn se fait construire un baleinier à vapeur, le SPES ET FIDES. Il y installe, à la proue,son canon lance-harpon. Au cors de la chaison de chasse de 1868, il tue 30 rorquals.Jamais de mémoire de baleinier on n'a pas chassé le rorqual,trop gros trop rapide. Et surtout le rorqual ne flotte pas,une fois mort. Foyn résout ce probléme en insufflant dans le ventre du rorqual tué de l'air comprimé,par un tuyau. Pour éviter que la ligne ne se rompe quand l'animal se débat, Foyn conçoit des "amortisseurs" : rangée de ressorts reliant le màt à une poulie dans laquelle coulisse le harpon..

la nouvelle station cotière norvégienne.

Cinq compagnies baleinières norvégiennes s'établissent en islande. Dés 1889,sur le site d'onundardfjordur,s'élève la plus grande station baleinière jamais construite. En onze ans,on y depèce 1296 baleines. Le modèle norvégien de la "station cotière" est adopté dans le monde entier à l'exception du japon qui utilise une méthode légèrement différente. La station est construite dans une baie ou sur un endroit abrité de la cote. Elle est équipée d'un plan incliné sur lequel est hissée la baleine pour étre dépecée. Après que l'on y a pratiqué des incisions,la graisse est détachée de la carcasse par un crochet relié à un cable,enroulé sur un treuil qu'actionne une puissante machine à vapeur. Le lard est ensuite passé dans une machine qui le découpe en fines tranches avant d'etre déposé dans un grand fondoir sans couvercle, ou il sera fondu. Une fois l'huile récupérée,le coeur,les intestins et les poumons mis de coté,la carcasse est alors transférée sur une petite plate-forme, à droite du plan incliné. Là ,ce qu'il reste de viande est découpé en morceaux et mis à cuire avec les os dans un fondoir à couvercle, pour en extraire encore un peu d'huile. La cuisson terminée, les os '(broyés en une fine poudre) et la viande ( une fois séchée) sont incorporés à des engrais agricoles. On récupère méme le jus de cuisson qui sert à la confection de colle. Au japon,les stations ne possèdent pas de plan incliné; le cadavre de la baleine,amrré contre la coque d'un bateau,est découpé dans l'eau. Les morceaux de lard,transportés ensuite sur le quai,y subissent le méme traitement que dans une station norvégienne. Dés 1891,la russie et le japon se lancent à leur tour à la poursuite des baleines et mettent sur pied des industries florissantes qui ne connaitront de difficultés qu'à partir de 1904,lors de la guerre russo-japonaise.

Cette station cotiere de grytviken en georgie du sud (au large des falklands)

était l'une des plus importantes de l'antarctique

.Son ouverture, en 1904,marque le début de la grande industrie baleiniére dans la zone antarctique.

Une station cotiére emploie de 200 à 300 hommes (directeur,contremaitre,ingénieurs,forgerons,magasiniers,mécaniciens,équarrisseurs,

fondeurs,ouvriers,cuisiniers et garçons de salle) En plus du traitement des baleines,une station cotiere doit etre capable de réparer ou de caréner les navires baleiniers.

Equarrissage d'une baleine dans une station cotiére, vers la fin du 19° siécle. Aprés avoir été cpturée au filet suivant la méthode japonaise,la baleine est tirée sur la plage devant l'usine.Les hommes font tourner d'énormes treuils à la main pour séparer les tranches de lard des carcasses. Contrairement aux techniques occidentales,la baleine est ici épluchée dans le sens de la longueur. Tout le gras , coupé en morceaux devant les bàtiments de l'usine,sera transformé en huile,os,gras,viande,viscéres,tout-à l'exception du foie-peut etre consommé. La derniére capture de baleine au filet date de 1909 à yamaguchi,à l'extrémité sud-ouest de l'ile de hondo.

la grande indusrie baleiniére du 20°siècle

Mais,trés vite,de nouveaux problémes se posent pour les chasseurs norvégiens. D'une part, les"stocks" de baleines s'épuisent aux abords des cotes norvégiennes. En 1902,au large de l'islande,les chasseurs tuent 1305 baleines. Dix ans plus tard,en 1912, ils n'en ramènent plus que 15. D'autre part,les pécheurs protestent,car la disparition des baleines entraine celle des poissons qui ont l'habitude de migrer avec elles! Le gouvernement norvégien incite alors les compagnies baleinières à exercer leur activité en dehors des eaux territoriales.Dans un premier temps,les chasseurs se contentent d'aller installer de nouvelles stations un peu plus au nord : en islande,dans les iles féroé et les iles hébrides. Peu à peu,ils poussent de plus en plus loin de chez eux : sur les cotes du labrador,puis à terre neuve ou l'on compte déja 18 stations baleinières en 1905. Et plus loin encore : vers l'espagne,le maroc,la cote pacifique de l'amérique du nord,l'afrique et l'amerique du sud.

Toujours en ce debut de 20°siécle,les norvégiens mettent au point les premiers navires-usines,d'énormes batiments mouillant l'ancre dans une baie abritée ; ils peuvent ainsi se déplacer d'un site à l'autre et travailler là ou il est impossible d'établir une station baleinière à terre. Les norvégiens améliorent encore le harpon de foyn : ils remplacent la fiole d'acide par un mécanisme à retardement,ils augmentent la puissance de pénétration dans la chair et facilitent le chargement du canon.

L'approche de la premiére guerre mondiale ne ralentit pas l'essor de l'industrie baleiniére norvégienne,bien au contraire : la demande en glycérine,avec laquelle on fabrique les explosifs,augmente. De nombreux instruments nouveaux sont expérimentés pour la chasse :harpon électrique,harpon à tete plate,appareil lance-roquettes. Mais ce sont les japonais qui remportent la palme de la sophistication avec l'usage d'un sonar qui indique la direction dans laquele nagent les baleines et la distance à laquelle elles se trouvent des bateaux. A la fin de la guerre,le massacre des baleines continue de plus belle. De l'arctique à l'antarctique,on traque les baleines de toute espèce,de toute taille,les jeunes comme les adultes,les màles comme les femelles.

Ce rorqual sur le pont d'un navire baleinier norvégien est sur le point d'étre dépecé à bord. La chasse moderne à partir des navires à vapeur rend possible la capture des rorquals (bleus,communs ou de rudolphi) qui se déplacent rapidement et que les baleinières d'autrefois ne pouvaient capturer. Les rorquals sont,par ailleurs si puissants, qu'ils auraient remorqué avec eux une baleinière à des milles de son navire
Seuls les cétacés de grande taille,baleines franches et cachalots étaient des proies possibles. Il y a à cela une bonne raison : une fois mortes,ces espèces flottent et peuvent donc etre manipulées à partir de petits bateaux.

 

Aprés la seconde guerre mondiale,le peuple des baleines est en danger de mort : la chasse devient internationale

La seconde guerre mondiale terminée,les campagnes de chasse en antarctique reprennent immediatement : le monde a un grand besoin de nourriture et d'huile comestible. Dés 1945,9 navires-usines prennent la mer,accompagnés de leur escorte de chasseurs :la norvége en arme 6,la grande-bretagne:2, l'afrique du sud:1. L'année suivante,on en compte 11 : 7 norvégiens,3 anglais, 1 sud-africain. Le japon obtient l'autorisation de la part des puissances alliées de reconstituer sa flotte baleiniére. Le répit occasionné par les années de guerre n'a pas suffit au repeuplement des eaux en baleines. Force est de constater que leur nombre est sans cesse décroissant. Alors,en 1946,une commission internationale siège à Washington pour envisager un remède à ce grave problème. Après de multiples réunions qui s'échelonnent sur une vingtaine d'années,la commission déclare la baleine franche et la baleine grise " espèces protégées ".Elle interdit, en outre,la capture des baleineaux et des femelles pleines, pour toutes les autres espèces.

Pourtant,il faut bien reconnaitre que ces mesures restent lettre morte. En effet,le respect de ces règles est sous la responsabilité des gouvernements concernés, qui souvent les ignorent purement et simplement. Le systéme de navires-usines mis en place par les norvégiens dans la premiére moitié de ce siécle a peu changé depuis lors. Le preincipe reste identique : un gigantesque batiment fonctionnant jour et nuit est " alimenté " par les chasseurs baleiniers qui vont et viennent, des lieux de chasse au navire_usine et inversement, à un rythme moyen d'une douzaine de baleines par jour.

 

Ultra-perfectionnée,la technique moderne de chasse utilise d'abord un baleinier puis une véritable usine flottante,le navire-usine

Les chasseurs-baleiniers modernes mesurent en moyenne 30 ou 40 mètres de long. Les plus grands peuvent mesurer jusqu'à 60 mètres et jauger 500 tonneaux. Extrémement robustes,facilement maniables, prévus pour affronter tous les temps, ils sont propulsés par un moteur diesel six cylindres, et leur vitesse atteint au maximum 18 noeuds. A bord, 12 hommes d'équipage sont en contact radio permanent aec le navire-usine. Quand le matelot,juché sur le nid-de-pie, a repéré une baleine,le canonnier rejoint la plate-forme de tir à l'avant du navire en empruntant la "plate-forme de visite". L'homme de vigie lui montre la position de la baleine. Le canonnier indique alors au barreur,par des mouvements de bras,la vitesse à adopter et le cap à suivre. La baleine est maintenant à quelques mètres devant la proue du bateau. Le canonnier vise son dos. Il fait pivoter et balancer son canon pour corriger les mouvements de l'animal et du navire, puis il fait feu. Le harpon va se planter dans la baleine, entrainant avec lui sa lourde ligne. Quelques secondes plus tard le granat (la charge explosive vissée sur la téte du harpon) explose....

Le cadavre est amarré le long de la coque,la queue vers l'avant du bateau, et on lui insuffle de l'air comprimé pour le faire flotter. On fixe sur le dos de la baleine morte un numéro et un petit émetteur-radio, puis on l'abandonne en pleine mer,flottant entre deux eaux. Un petit bateau la récupére alors et la remorque jusqu'au navire-usine. Le navire-usine est un gigantesque bateau : 20.000 ou 30.000 tonnes. Et l'équipage peut compter jusqu'à 400 hommes .IL est pourvu d'un matériel de navigation extrémement sophistiqué. La baleine est hissée à bord par la "rampe", un plan incliné sur la poupe. Une fois le cadavre sur le pont,de puissants treuils séparent le lard et la carcasse. Les écorcheurs découpent le lard, débitent la chair et scient les os. Chacune des parties de l'animal est dirigée vers les différents fondoirs situés sous le plan de dépeçage. L'huile obtenue est stockée dans de grands réservoirs ; la viande est entreposée dans des chambres froides. Seuls les fanons,si recherchés au 18° siécle,sont rejetés à la mer.

Cependant,ces expéditions "pélagiques", c'est-à-dire de chasse en haute mer,sont trés couteuses et demandent une main-d'oeuvre spécialisée qui se fait de plus en plus rare. En revanche,les chasses cotiéres sont beaucoup plus importantes qu'autrefois. Elles posent des problémes bien précis : Elles concernent des pays dont les gouvernements controlent les eaux territoriales jusqu'à 200milles. CEs gouvernements peuvent donc se permettre d'ignorer complètement les appels de la commission baleinière internationale, et d'avoir recours à la force avec des bateaux de guerre pour protéger leurs baleiniers. Durant les vingt années qui suivent ,la guerre des baleines se déroule d'une maniére terrible,impitoyable,heureusement limitée par les efforts grandissants de la commission internationale. Dans les années soixante,la grande bretagne,les pays-bas et la norvége cessent d'envoyer leurs navires dans l'antarctique. Les deux premiers pays désarment complétement leur flotte ; le troisiéme ne conserve que quelques bateaux opérant au large des cotes.

(a gauche) les morceaux sont détachés grace a des treuils

(a droite) le cachalot mort est halé jusqu'au pont......

(a droite) le canonnier ajuste la cible et tire ,le harpon frappe le cachalot

La disparition des baleines rend la chasse peu rentable pour les pays d'europe de l'ouest

En outre,dans les économies modernes,la chasse à la baleine n'a plus vraiment sa place : les produits baleinierss perdent leur intéret, car ils peuvent pratiquement tous etre remplacés par d'autres. Et il devient de plus en plus difficile de trouver des hommes d'équipage.La chasse pélagique ne reste rentable que pour l'URSS et le JAPON, et pour des raisons bien précises: en urss,l'industrie baleiniére comble une déficience de l'industrie chimique ; au japon,la viande de baleine fait partie de l'alimentation courante.Vers un monde sans baleines ? Depuis le début du siécle,le nombre des cétacés diminue de façon inquiétante. Le premier cri d'alarme a été poussé en 1912,par l'écrivain norvégien Collet : "Le canon à harpon de foyn poursuit sa marche meurtriére à travers les océans,avec une puissance sans précédent. Pour quelque temps encore,il permettra de tirer de la mer une grande richesse ; mais un prélévement aussi lourd,effectué sur un groupe animal aussi limité que celui des cétacés,réduira inévitablement l'effectif des populations"

Ce cri d'alarme n'a pas été entendu à temps. Les chiffres du massacre sont énormes.50.000 baleines ont été tuées chaque année de l'entre deux guerres. Pour la seule année 1964 :357 chasseurs-baleiniers,23 navires-usines, une quarantaine de stations baleiniéres cotiéres ont tué318 baleines à bosse,372 rorquals bleus,19.000 rorquals communs,13.000 rorquals de rudolphi29.000 cachalots. En une seule saison de chasse,la flotte de l'antarctique tue37.000 baleines d'espéces différentes. Depuis vingt ans,le nombre de baleines ne cesse de décroitre. Il y avait 300.000 baleines bleues en 1930,il en reste moins de 2000 . Il y avait 40.000 baleines à bosse en 1940,il en reste moins de 2000 . Pourtant,la chasse de ces deux dernieres espéces est interdite, depuis 1967 pour la premiére, et depuis 1966 pour la seconde....Les rorquals et les cachalots sont toujours chassés. Il y avait 40.000 rorquals en 1940, il en reste 8000 Sur 1.000.000 de cachalots,il en reste 400.000. Quant aux baleines franches de l'arctique et de l'antarctique, leur survie tient littéralement du prodige : elles ont été chassées sans discontinuité du 8° au 20°siécle, et il est impossible de dire quel était leur nombre lorsque leur population était maximale. Il n'en reste aujourd'hui que quelques centaines.

le canon a l'avant du navire

le plan incliné du navire-usine

l'agonie d'une baleine harponée

La défense des cétacés est importante pour des raisons écologiques,c'est-à-dire d'équilibre entre les milieux vivants

Un ou deux millions de grands cétacés dans le monde,une moyenne de vingt millions de tonnes! Les baleines représentent un pourcentage énorme de ce que l'on appelle la "biomasse" (la masse vivante des océans).Comme tous les prédateurs "finaux" ,c'est à dire ceux qui mangent sans etre mangés,les cétacés jouent un role absolument fondamental dans l'équilibre de l'écologie marine. Cet équilibre est fragile,complexe et indépendant. Cela signifie que tous les éléments sont liés les uns aux autres,comme les rouages d'une grande machine. Y porter atteinte,c'est risquer de ne plus voir fonctionner la machine en enrayant définitivement le mécanisme.

Il est impossible de prévoir exactement les conséquences d'une rupture d'équilibre dans l'écologie d'un milieu,mais il faut savoir que toute espéce à sa raison d'étre. Le milieu marin est essentiel à la vie,et les conséquences d'une rupture de cet équilibre pourraient étre dramatiques.

 

Et que vivent les baleines....

Les baleines règnent en souveraines sur leur milieu,celui des océans,comme les hommes règnent sur les terres. Et ce rapprochement entre l'homme et la baleine a été fait depuis longtemps. A travers la diversité des langues,des cultures,des époques,des histoires qui se racontent et se transmettent,on retrouve un étrange parallélisme entre l'homme,maitre du monde,et la baleine,reine des océans.

C'est pourquoi les chasseurs de baleines,à l'époque héroique ou l'homme avec son harpon était face à la béte gigantesque,ont toujours sacrifié à un rite profond. Un rite par lequel,à travers le combat et la mort,deux souverains, l'un de la mer, l'autre de la terre,se rencontraient......

" Et si je ne connais méme pas la queue de la baleine,comment comprendrais-je sa téte ?....Son visage ?.... Quand elle n'a point de visage. Tu verras mon dos,ma queue,semble-t-elle dire,mais jamais tu ne verras ma face "

Herman Melville , MOBY DICK